Voici le recit d'une expérience de retrempe par monsieur Dubut:
Pour qu'un animal fût qualifié de pur sang, s'il fallait qu'à
aucun moment aucun sang étranger n'ait été infusé
à aucun de ses ascendants, on peut affirmer qu'il n'existe nulle part,
aujourd'hui, un produit qui réunisse ces conditions. A ce compte, il
n'y aurait, ni -un sujet pur, ni une race pure.
Notamment, en ce qui concerne nos races de chiens, soit anglaises, soit françaises,
il est de toute évidence qu'aucune n'a pu vivre, se maintenir, s'améliorer,
sans l'apport d'un sang nouveau, sans un rafraîchissement du sang, sans
une retrempe.
Cette intransigeance, quant au sang rigoureusement pur, n'est donc ni légitime,
ni sage, ni même honnête, car certains puristes forcenés
ne se privaient pas dans l'ombre, d'user de la retrempe, mais ils ne l'avouaient
jamais. Cette intransigeance était donc plus verbale que réelle.
A mon sens, et au jugement des praticiens qui ont un peu de zootechnie, la
retrempe est, dans certains cas, non seulement recommandable, mais nécessaire.
Sur le principe de la retrempe, l'accord est à peu près unanime
aujourd'hui. On se rend compte que, sans elle, toutes nos races domestiques
finiraient par sombrer dans une consanguinité excessive et malheureuse.
Les éleveurs avertis et loyaux admettent parfaitement qu'un animal
peut et doit être réputé pur sang dès que son pedigree
ne comporte qu'une fraction minime de sang étranger, insuffisant pour
altérer le type de la race fixé au standard.
Ainsi, pour préciser à l'aide de chiffres, on admet généralement
qu'un animal, dont le pedigree n'accuse que 1/8 de ce sang étranger,
peut être considéré comme de race pure.
Il en est même chez qui malgré 1/4 de sang étranger, on
ne relève aucune trace de mésalliance.
Avant de quitter les généralités, disons que toute tentative
de retrempe comporte deux opérations délicates:
Le choix de l'étalon de retrempe, l'élimination des produits adultérés.
Sur ces deux points, si vous me le permettez, je vais éclairer ma lanterne
à l'aide d'un cas particulier, qui m'est personnel.
Quand j'ai débuté dans l'élevage du Braque du Bourbonnais,
il y a une trentaine d'années, le dogme de la pureté absolue
de la race était la doctrine officielle, intangible, de l'élevage
canin; et le fin du fin, c'était de marier ensemble tous les champions
de la race, ou tout au moins leurs descendants. Les familles royales, sauf
votre respect, ne se perpétuaient, pas d'autres manière. Ce
n'est, peut-être pas suffisant pour généraliser la méthode.
Les sentiers battus ne sont pas toujours les meilleurs, mais sont les plus
faciles: je fis comme tout le monde.
Je donnai d'abord ma chienne Kate à Hercule de Bosc le Hard, petit-fils
de Champion Mascotte. Je la donnai ensuite à Champion Roi d'Ys. Je
donnai Douce, fille de Kate à Goliath. Je trouvai, chez M. Godinot,
Guêpe, arrière-petite-fille de Champion Yan. J'obtins de l'obligeance
de M. Canu, Gousse et Loustic issus de Champion Fanette. J'étais triomphant.
Songez! En quelques années, j'avais rassemblé dans mon chenil
le sang de tous les rois ou reines de la race !
Quelle bonne besogne j'allais faire! Quels succès, me semblait-il,
devaient couronner mes efforts !... O naïve et sainte innocence de l'homme
de foi!
Cette méthode me donna un certain nombre de chiens honnêtes;
pas un as, pas un chien totalement réussi, soit au physique, soit au
moral. Plus se concentrait mon aristocratique macédoine, plus je percevais
de fâcheuses déficiences.
Quand on élève des pointers ou des setters - races nombreuses
aux variétés voisines - on peut, pendant un assez long temps,
trouver des géniteurs de sang variés qu'on peut sans danger marier ensemble.
Mais si vous élevez des Bourbonnais, race alors peu nombreuse et peu
répandue, la difficulté s'accroît vite et devient rapidement
invincible. Vous ne disposez que d'un très petit nombre de reproducteurs
et vous tombez fatalement dans une consanguinité outrée.
Et ce qui fait qu'une telle consanguinité devient vite dangereuse,
c'est que parmi ces quelques spécimens célèbres de la
race, quelques-uns, bien que champions, ont des tares physiques ou morales
qui les rendent absolument dangereux pour toute reproduction consanguine,
pour tout croisement, en dedans.
Et ces tares, souvent vous les ignorez.
II m'apparut de toute évidence, que seule une retrempe pouvait relever,
revivifier, sauver mon braque du Bourbonnais.
Quelles conditions doit réunir une retrempe judicieuse et efficace?...
Où s'adresser pour cette retrempe?
Ce sont deux questions qu'il me fallut résoudre. Voici comment. Pour
tenter une retrempe sérieuse, rationnelle, dont les traces, et non
le bénéfice, s'effacent assez rapidement, il m'apparut que certaines
précautions sont nécessaires.
Et d'abord, quelles sont les caractéristiques essentielles de la race
à retremper, en espèce, le Braque du Bourbonnais.
Au physique, chien solidement bâti, plus trapu qu'élégant,
type médioligne, tête en poire, de format ample, robe blanche
truitée, fouet court.
Au moral, chien bien doué, bien équilibré, bon caractère,
sociable, docile surtout, quête allure, arrêt, dans la note chasse
pratique et cependant sportive,
Le problème, donc, est de trouver un géniteur qui joigne aux
aptitudes spéciales de sa race, les qualités de Famille qui
se rapprochent de celles du Bourbonnais.
Au point de vue robe et type, j'aurais pu prendre un braque, soit français,
soit allemand. A cette époque, le braque français était
presque inexistant et le braque allemand était très rare en
France.
J'éliminai le braque bleu d'Auvergne, parce que, s'il est resté
pur, sa tête est trop différente de celle du Bourbonnais; s'il
est pointérisé, ce qui est le cas le plus fréquent, autant
alors s'adresser directement au pointer.
Je le fis d'autant plus volontiers qu'il me semblait possible, en cherchant
un peu, de trouver dans les pointers de petite taille, des chiens aussi voisins
que possible des Bourbonnais, soit au physique, soit au moral.
Inutile de dire que je ne songeai pas à prendre un chien courant, même
à poil ras, et que ne m'est jamais venue l'idée saugrenue de
faire appel à un chien à long poil: épagneul, setter
ou autre.
Pour être tout à fait sûr de ne pas introduire dans mes
Bourbonnais un élément de perturbation, je fabriquai mon étalon
de retrempe avec des géniteurs de mon choix.
J'achetai une chienne dans un chenil de pointers où dominait le souci
de la qualité. Cette chienne était douce et docile au possible,
et, par ailleurs, excellemment douée.
Il y avait chez un de mes amis, provenant d'un autre chenil très réputé
à cette époque, un pointer dont l'origine était des plus
fashionables, étalon d'un modèle parfait: de l'os, du muscle,
du cachet, un tempérament s'il en fut jamais, et passionné chasseur.
J'en eus plusieurs produits, notamment un mâle que je jugeai particulièrement
intéressant pour le format et pour la robe. Je l'élevai et le
dressai moi-même. J'en fis un chien remarquable de tous points: il réunissait,
à un très haut degré, les qualités physiques et
morales qui caractérisent le très bon chien.
Me permettez-vous de vous en apporter la preuve?
Un jour, je me disposais à aller chasser, j'avais déjà
sur l'épaule mon fusil et mon carnier, et mon chien était là ,
prêt à partir, joyeux. Je m'aperçois que j'ai oublié
quelque chose à la maison. Je laisse mon chien dans la cour close d'une
grille, et je rentre à l'intérieur. En sortant de nouveau quelques
minutes après, que vois-je?... Mon chien avait essayé pour me
rejoindre, de passer à travers la grille de clôture. II avait
réussi à passer la tête, puis une épaule. Impossible
de passer la deuxième épaule, impossible de reculer. Pour délivrer
le captif, je dus desceller le barreau de la grille.
Telle était la passion de la chasse chez ce chien.
Savez-vous comment on chasse le lièvre, dans mon pays, en fin de saison?
Par temps sec et froid, les lièvres se gîtent dans les labours.
Quand ils ont été levés une fois ou deux, ils deviennent
extrêmement prudents et méfiants. Dès qu'un chasseur et
son chien apparaissent à la limite du champ les lièvres vident
leur gîte. On n'a de chance de les tirer à bonne portée
qu'aux premières heures de la matinée et à la condition
d'avancer doucement, sans bruit, sans gestes inutiles le nez dans le vent
et son chien sur les talons.
Pour ces cas-là , je commandais à mon chien: Derrière!
Et mon chien se tenait rigoureusement derrière moi, sans que jamais
sa tête ne dépassât mon jarret. J'aurais pu battre 10 hectares
de labour, sans avoir besoin de le rappeler à l'ordre.
Le labour fini d'explorer, je lui disais: Allez! Et immédiatement il
reprenait sa quête rapide, étendue, mais toujours régulière,
prudente, impeccable, piquant à grande distance des arrêts sûrs
qu'à mon approche il coulait avec sagesse.
J'ai acquis la certitude par la suite et par une longue expérience,
que ce bon chien, que cet excellent chien m'a permis de maintenir et d'accroître
toutes les qualités de tempérament, de caractère, de
nez et de docilité de mes Bourbonnais.
Si je ne vous ai pas trop ennuyés, voulez-vous, pour finir, que j'envisage
sous un angle spécial, mais qui n'est pas sans intérêt,
la question de la retrempe d'une race.
Si vous voulez bien vous représenter que j'ai dû sacrifier (autrement dit: donner) tous mes demi-sang et quelques trois quarts de sang,
que, pour la retrempe, comme pour le retour au type primitif, il m'a fallu,
pendant plusieurs années, élever et entretenir un grand nombre
de chiens invendables, vous vous rendrez compte de ce qu'une opération
de ce genre peut exiger de temps, de soins, de dépenses.
Comme bien des passions, la passion du chien coûte parfois un peu cher.
Encore si elle vous apportait toujours le résultat espéré,
le succès !...
En 1920, en présence d'un cheptel, dévasté par la guerre,
acculé à une consanguinité trop en dedans, j'ai tenté
une nouvelle retrempe. J'ai trouvé, chez un ami, un chien que je connaissais
particulièrement, que j'avais vu chasser souvent et qui me dormait
sensiblement les mêmes garanties que le pointer que j'avais fabriqué
avant la guerre, avec des éléments sélectionnés.
Les produits issus de cette seconde retrempe, Cob de la Bresle, Cube, Elga,
Fan, Fane, de la Bresle sont des Bourbonnais typés, vigoureux, maniables
et supérieurement doués.
Après ce que je viens de vous dire au sujet de la retrempe, vous vous
dites peut-être: ' Mais ce n'est pris très malin cette histoire-là .
Avec un peu de flair et quelques précautions tout le monde peut en
faire autant.'
Si vous êtes un débutant, sans grande expérience, contentez-vous
de faire de la reproduction avec des animaux de race pure.
Laissez faire de la retrempe ou de la consanguinité aux amateurs qui
ont des connaissances, de l'expérience, une longue pratique.
Ces opérations-là , soyez-en bien convaincu, comportent des difficultés,
des risques, des déboires, beaucoup de temps et beaucoup d'argent.
Savez-vous quel est l'amateur de chiens qui a un peu d'agrément et
même un peu de profit?... C'est celui qui a, dans son chenil, une bonne
chienne, une très bonne chienne, produisant, beau et bon, et à
laquelle il fait faire une portée tous les ans, ou même tous
les deux ans. Celui-là peut avoir l'espoir de céder quelques
chiots et de se couvrir ainsi de ses frais de chenil et même de chasse.
Mais si vous avez beaucoup de chien, si vous élevez en grand, attention
! Gare à la maladie! Gare à l'eczéma ! Gare aux ennuis
de toute sorte !
Croyez-en un vieux fervent de notre brave Bourbonnais.
E. Dubut, Chenil de la Bresle.