Braque du Bourbonnais

Le Chasseur Français, numéro 839, janvier 1967


Les races de chiens que nous connaissons aujourd'hui n'ont pas toujours existé; certaines sont différentes de ce qu'ont été celles dont elles conservent le nom; il en est peu qui soient extrêmement anciennes, tout au moins dans leur aspect actuel. Beaucoup de races apparues au cours des siècles ont disparu, d'autres disparaîtront, certaines sont en train de s'éteindre ou se sont éteintes récemment, tandis que de nouvelles races ont été créées au cours de notre époque.
Il convient bien de dire qu'une race est créée plus souvent qu'elle ne se crée; car l'espèce canine ne respecte pas naturellement la notion de race celle-ci n'apparaît et ne se maintient naturellement que si les individus se trouvent soumis à des conditions d'existence identiques et s'ils appartiennent au même type; hors de ces conditions l'intervention et le dirigisme de l'homme sont nécessaires. La longévité des races est extrêmement variable; certaines ont vécu des siècles, ou existent depuis quelques siècles; bien d'autres n'ont donné que quelques générations. Notre époque en a vu s'éteindre plusieurs; nous assistons à l'agonie de quelques-unes; mais dans le même temps d'autres sont nées et d'autres sont en train de naître ou de s'affirmer.
Ces propos peuvent surprendre des personnes non averties: cependant, ils ne traduisent qu'un des aspects de l'évolution générale de tout ce qui vit, et les races humaines n'y échappent pas. A plus forte raison si l'on prend le mot race dans un sens très étroit, comme on l'a fait pour les races canines: Bretons, Bourguignons, Basques, Gascons ont représenté des groupes ethniques particuliers, différant entre eux par le physique et par le moral, par le langage et par l'accent; des mélanges se sont toujours produits au cours des âges, mais les brassages massifs de populations qui ont lieu à notre époque sont en train d'effacer presque complètement les caractères ethniques régionaux, tandis que l'uniformisation des méthodes de vie, de production et de consommation accélèrent cette évolution et la rendent irréversible: c'est pour tenter d'y remédier que se sont déclenchés partout des mouvements dits régionalistes ou folkloriques, dont le caractère théâtral et artificiel prouve qu'ils ne sont plus de spontanéité naturelle.
Les races d'animaux ont subi ou subissent en ce moment les effets de phénomènes semblables ou parallèles; notamment, les agriculteurs du sud-ouest peuvent en donner des exemples à propos de leurs races bovines. Les races canines n'échappent pas non plus aux lois de cette évolution:
les races de chiens de chasse suffisent à le confirmer; les efforts entrepris pour maintenir ou faire resurgir certaines s'apparentent, par leur caractère artificiel, à ceux que je viens d'évoquer au sujet du folklore.

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Mais le mot race n'a pas toujours la même signification pour le biologiste, pour l'éleveur ou le cynophile et pour le simple profane.
D'autre part, l'espèce canine est sans doute parmi toutes les espèces d'animaux celle qui offre le plus de diversité de types généraux et paraissant bien être naturels; du Bouledogue au Lévrier, du grand Danois au minuscule Carlin, il semble que la nature se soit amusée à compresser et à étirer dans tous les sens la matière de l'espèce canine; et, entre ces extrêmes, il y a toutes les gammes des formes et tailles intermédiaires; en outre, toutes ces formes intermédiaires peuvent, en principe, s'unir et se reproduire entre elles, ce qui est le propre d'une même espèce, et donner ainsi une variété presque infinie et inépuisables de formes dans la limite des extrêmes.
On conçoit donc qu'il peut y avoir un nombre illimité de races canines et qu'il peut en naître ou disparaître à tout moment. Il convient toutefois de définir ce qu'est une race. On admet généralement que le type étant la moyenne de l'ensemble des caractères d'un groupe d'individus la race est le résultat de la loi naturelle en vertu de laquelle les animaux se reproduisent en perpétuant le type. Un ou même plusieurs caractères particuliers, à plus forte raison s'ils sont seulement personnels à un ou à quelques individus, ne suffisent pas à constituer un véritable type; mais, si ces caractères sont héréditaires ou le deviennent, les animaux qui en sont porteurs représentent des variétés de la race dont ils ont et conservent les caractères généraux.
La définition d'un type est toujours vague et intuitive; elle doit nécessairement considérer un certain nombre de caractères; mais lesquels ? et lesquels doivent être considérés comme plus marquants (typiques) que d'autres ? Car on peut se baser sur la forme du crâne, sur le port des oreilles, sur la taille, sur la couleur, sur les aptitudes, etc.
La nécessité de faire un choix de plusieurs caractères pour définir un type a amené des naturalistes éminents à des classifications différentes; mais la classification la plus généralement admise est celle qui consiste à distinguer quatre grands groupes de chiens domestiques quant à leur type général: les lupoïdes, dont la tête est en forme de pyramide horizontale, le museau allongé
et plutôt étroit, avec généralement les oreilles droites; les bracoïdes dont la tête est un peu prismatique, le museau non ou très peu à l'extrémité, avec les oreilles tombantes et les lèvres plus ou moins flottantes, groupe comprenant non seulement les Braques, mais aussi les Épagneuls et les Griffons de chasse et la plupart des chiens courants; les molossoïdes, à tête massive, ronde ou en cube, au museau court, avec les oreilles petites, le corps massif, groupe comprenant à la fois les grands chiens de montagne, les dogues et Bouledogues et... le petit Carlin qui en est une forme naine. Les graïoïdes, à la tête allongée, oreilles petites, couchées en arrière ou droites, museau mince allongé, corps svelte, enlevé, membres minces: ce sont les Lévriers.
Ces grands groupes sont donc basés sur des caractères généraux mais à l'intérieur de chacun de ces groupes les chiens porteurs de caractères secondaires héréditaires, taille, poil, par exemple, représentent des races, et ces caractères secondaires sont trés nombreux; c'est pourquoi, par suite de croisements à l'intérieur d'un même groupe et entre sujets de groupes différents, on peut créer artificiellement ou il peut se créer natureller: une grande quantité de races ou simplement de variétés on en distingue actuellement environ deux cents pour l'ensemble des quatre groupes.
Pour la commodité, et en tenant compte des aptitudes ou de la destination de ces races ou variétés, on les a d'ailleurs classées en onze groupes simplement désignés par un numéro.

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Sans remonter aux temps antiques, où des auteurs grecs et romains ont procédé à des classifications de races canines selon leurs fonctions ou leur province d'origine, il faut remarquer qu'il n'y a guère plus d'un eède que les races canines ont été, et sont de plus en plus, très étroitement cloisonnées.
Buffon, lui-même, n'a guère fait de distinction entre Griffons et Épagneuls et entre les diverses variétés de Braques qui, de son temps, commençaient à s'individualiser. On prêtait alors peu d'attention ou d'intérêt aux caractères; on considérait surtout, sinon exclusivement, le type.
Les progrès de la zootechnie, la sélection plus raisonnée et dirigée des animaux domestiques mirent peu à peu en relief la notion de caractère, à tel point que, parfois, on lui donna tant d'importance qu'on en perdit de vue la primauté du type. En ce qui concerne les chiens de chasse, ceux-ci furent longtemps

l'apanage de quelques classes sociales, et si au cours de tous les siècles il y eut toujours des braconniers, et donc des chiens de braconniers, et certainement excellents, seuls les détenteurs officiels du droit de chasse pouvaient entretenir ouvertement suffisamment de chiens pour faire une sélection, pour créer et pour maintenir des familles de chiens pouvant constituer de véritables races.
Les familles de chasseurs élevaient les chiens qui leur convenaient le mieux, les générations se les transmettaient, les familles de chiens se fixaient. La précarité des moyens de transport et de communication se prêtait mal aux échanges et aux brassages hors des limites des provinces.
Mais, à l'intérieur de celles-ci, des croisements se faisaient parfois de manière empirique, dans le but primordial de rechercher des qualités pratiques. Tant que les expositions canines n'existaient pas, ou tant qu'elles furent peu répandues et non exploitées comme moyen de publicité commerciale, cette sélection des qualités pratiques aboutissait très naturellement à la fixation d'un certain type particulier et donnait ainsi naissance à des variétés qui accédaient au titre de races, régionales, voire locales, répondant et bien adaptées aux goûts et aux besoins des chasseurs de ces régions.
Ainsi naquirent parmi les chiens d'arrêt des races d'Épagneuls, de Braques et même de Griffons dont certaines ont eu une brève existence, d'autres dont l'origine était sans doute fort ancienne et d'autres aussi apparues au cours ou vers la fin du siècle dernier, qui ont disparu ou sont en train de disparaître. Aujourd'hui, le nom de certaines d'entre elles n'évoque rien chez les jeunes chasseurs; tels sont le Braque Charles X, le Braque de l'Ariège, le Griffon Boulet; le nom de certaines autres, bien que peut-être fort anciennes, ne fut que peu connu hors des réglons où elles furent cultivées et tentent de revivre, comme l'Epagneul du Larzac (sud du Massif Central), l'Épagneul de Saint-Usuge (Saône-et-Loire, Jura) ou le Braque de Mirepoix (Ariège); d'autres, enfin, figurent bien encore sur les nomencLatures actuelles des races considé-rées comme existant, mais elles n'ont pu survivre, ou on essaie semble-t-il vainement de les faire survivre à cette sorte d'éclatement des frontières régionales, d'interpénétration et d'uniformisation de l'ensemble du pays.
Il serait extrêmement difficile de se procurer un authentique Épagneul picard, un Bleu de Picardie et même un Épagneul de Pont-Audemer; cependant, il y a quelques années, de courageux efforts très prometteurs de réussite avaient été faits pour maintenir ou pour reconstituer ces races, et on en vit de jolis lots à certaines expositions. Parmi les Braques, où trouver, même dans la région de Foix, un authentique Braque de
l'Ariège, race figurant pourtant en première ligne du septième groupe (chiens d'arrêt continentaux) de la nomenclatures des onze groupes de races publiée par la Société centrale canine? D'autre part, ce dernier organisme quasi officiel, bien qu'il n'ait sûrement pas oublié l'origine de la race créée au début du XIXe siècle par MM. Omer et Narcisse Dupuy, laisse supposer cette invraisemblable lacune, car, sur ladite nomenclature, rééditée semble-t-il chaque année, ce chien est désigné sous le nom de Braque du Puy, accréditant l'erreur qu'il s'agirait d'une race de la Haute-Loire; les récents essais tentés paraît-il pour reconstituer cette race Dupuy, produit de Braque et de Lévrier, justifieront peut-être le maintien et la rectification de son nom sur la nomenclature, mais aura-t-elle un lien parental avec la race primitive?
Quant au Braque du Bourbonnais, en la survivance duquel j'espérais il y a peu de temps et dont je connaissais deux beaux spécimens, j'ai dû avec regret enregistrer son extinction sans doute irrémédiable.
On peut penser que le caractère régional de ces races impliquait leur disparition avec celle du régionalisme; cela n'est cependant tout à fait exact qu'en principe; la standardisation n'abolit pas la géographie, ni, fort heureusement, partout la conception de la pratique de la chasse.
En laissant de côté le cas spécial de l'Épagneul breton, on pourrait aisément retracer l'historique de la campagne qui, notamment entre 1920 et 1940, a entraîné la condamnation à mort des chiens d'arrêt continentaux français. Je l'ai fait ici même, il y a une vingtaine d'années, et j'ai souvent exprimé l'opinion qu'il fallait sauver du naufrage quelques familles régionales des races condamnées, parce qu'un jour reviendrait où on aurait besoin d'elles sinon pour reconstituer entièrement le chien continental français, du moins pour essayer de redonner ses essentielles qualités morales aux hybrides présentés comme ses successeurs.
Il aurait fallu pouvoir conserver quelques familles, des races mères authentiques: vieil Épagneul français et vieux Braque français. Depuis plusieurs années, de nombreux chasseurs des régions les plus diverses, déçus par des chiens d'arrêt trop nerveux et difficiles à conduire, aspirent à trouver, parfois sans le savoir, un chien vraiment continental bien près de l'ancienne formule française. Ce n'est pas une utopie, ni une fantaisie qui a motivé le réveil et le succès croissant des deux races mères susdites; mais elles ont du mal à se reconnaître elles-mêmes après leur longue léthargie et leurs mariages clandestins. Jean CASTAING.